Author Archives: Sandrine Audegond


Les vins d’aujourd’hui n’ont pas le même goût que ceux que buvaient nos ancêtres : jusque-là, on savait.





Mais recherchait-on les mêmes qualités ? Un vin jugé bon aujourd’hui aurait-il été perçu comme tel au Siècle des Lumières ou à la Belle Époque ?





Exercice d’archéologie œnologique en trois parties. Premier épisode : la couleur.





50 nuances de …





Aujourd’hui, on parle souvent de rubis ou de grenat pour les vins rouges et de jaune citron ou or pour les vins blancs. C’est assez simple et direct. Nos ancêtres, en revanche, avaient un vocabulaire très nuancé pour désigner les couleurs allant du blanc au rouge clair. Au XVIIIème siècle, ils parlent de vin « clairet » pour qualifier un vin rouge pâle translucide. Un vin « gris » est un blanc légèrement teinté de rouge, le « pelure d’oignon » est un rouge-orangé à reflets jaunes. Un vin « paillet » est d’abord synonyme de « clairet » avant de désigner un vin blanc d’un jaune paille. On comprend ce goût de la précision car certains rouges sont en fait des blancs dans lesquels on ajoute du vin d’un rouge très foncé pour le colorer.





« Clair comme larme d’oeil »





Pendant tout le Moyen Âge, on a considéré le vin blanc comme le meilleur car on appréciait par-dessus tout la limpidité, gage de pureté et de qualité : rien ne vaut un vin « clair comme larme d’œil ». L’idéal des vignerons est de s’approcher des deux modèles de l’époque : les vins de Chablis et d’Auxerre, dont la réputation n’est déjà plus à faire en France mais aussi dans toute l’Europe. Les vins d’Île-de-France étaient connus pour être très clairs et ils étaient appréciés pour cela, notamment des pays du nord : la Flandre, la Scandinavie et les pays de la Baltique.





À partir de la Renaissance, le goût change et la préférence va au vin rouge qui devient définitivement la couleur de référence au XVIIIème siècle. Le goût pour la limpidité, lui, demeure. On utilise un tastevin, une sorte de petite écuelle en étain à fond en relief, pour évaluer la transparence du vin. La quantité de vin qu’il contient est minime et laisse passer la lumière, ce qui fait ressortir la moindre impureté. Le tastevin était considéré comme l’outil de travail de base du négociant, bien avant le verre.





À la Belle Époque, le monde du vin français est gangréné par la fraude. Savoir détecter un vin frelaté fait partie des compétences fondamentales des professionnels. Bien qu’elle ne renseigne que partiellement, la limpidité reste essentielle. De nombreux ouvrages paraissent sur le traitement des vins, avec des chapitres très complets sur son éclaircissement, preuve que le critère est associé à la qualité.





Râpé de copeaux et rouge qui tache : des recettes d’antan





Mais que faisait nos ancêtres vignerons quand la couleur n’était pas exactement celle qu’attendaient leurs clients ? Ils avaient recours à diverses techniques pour éclaircir ou foncer la teinte naturelle du vin.





La pratique la plus courante reste le « râpé de copeaux ». Depuis le Moyen Âge au moins, on se sert de copeaux de bois pour éclaircir le vin et le nettoyer. On se fournit en copeaux frais, en chêne de préférence, chez le menuisier du coin et on les immerge dans le vin à traiter. C’est aussi une pratique très efficace pour rajeunir les vieux vins.





À l’inverse, on peut aussi « noircir » ou les vins avec du vin « teinturier ». On achète un vin rouge grossier dont l’unique intérêt est qu’il est très coloré. La région de Blois a longtemps été la source d’approvisionnement pour ce type de vin. Pour juger de son efficacité, nul besoin de le goûter : on en jette un verre sur un mur blanchi et on examine la marque qu’il y laisse. De là vient l’expression « du rouge qui tache ».





À la fin du XIXème siècle, les progrès scientifiques et techniques permettent d’élargir la gamme des produits filtrants et collants. On utilise des « colles » pour nettoyer le vin. Il ne s’agit pas de substances collantes mais de matières assez lourdes qui, une fois déversées par le haut de la cuve, traversent le vin et raclent les matières solides en suspension.





De l’intérêt stratégique de la carafe





Au XIXème siècle, on assiste à une embellie du repas, en particulier dans les milieux favorisés. Les tables bourgeoises se garnissent d’une vaisselle toujours plus abondante et destinée à des usages précis. La soupière n’est pas le légumier, qui, lui-même, se distingue du compotier. La carafe est le contenant classique dans lequel le vin est présenté à table. À l’inverse de nos bouteilles modernes teintées, elle est le plus souvent en verre blanc. La couleur du vin a donc toute son importance. Pour donner de l’éclat, on utilise le plus souvent un verre ou un cristal taillé plutôt que lisse, pour que la lumière joue sur le breuvage et le fasse étinceler. Le carafage n’avait donc pas exactement le même rôle qu’aujourd’hui : l’intérêt n’était pas d’oxygéner le vin, les méthodes de vinification de l’époque étant déjà assez oxydantes, mais de révéler sa couleur.





Illustration: lithographie de Léon Noël (1807-1884)



Saviez-vous que l’un des modes de taille de la vigne les plus pratiqués en France a été mis au point à Argenteuil ?





L’obsession de la qualité





Jules Guyot est d’abord reçu docteur en médecine avant de s’intéresser à la physique. La politique le tente un moment mais il est déçu par la monarchie de Juillet, ce qui le décide à se consacrer à des recherches scientifiques en viticulture. Pendant près de trois décennies, il parcourt le vignoble français de fond en comble.  Il observe tout, note tout et ne s’en laisse pas conter. Son obsession : produire les meilleurs vins possibles.





Le laboratoire d’Argenteuil





Certains vignobles d’Île-de-France l’affligent et il déplore la mauvaise qualité des vins qui en sortent. C’est, selon lui, le résultat d’un mauvais choix de cépage : « les coteaux d’Argenteuil, admirablement situés et d’un sol vignoble (sic) de première qualité, s’ils étaient replantés en fins cépages, donneraient comme autrefois des premiers vins de France », écrit-il.  Entre 1845 et 1847, il expérimente dans le vignoble d’Argenteuil une taille basse à long bois, appelée depuis lors « taille Guyot ». De la souche part un long sarment qui porte les grappes. Ce n’est pas à proprement parler son invention mais il parvient à en comprendre l’intérêt et à en fixer la méthode. Ses résultats sont étonnants car il parvient à redonner vigueur à de vieux ceps stériles.





Belle vigne, beau vin





Dans son ouvrage Culture de la vigne et vinification, dans lequel il fait la synthèse de tous ses travaux, Guyot établit clairement un lien entre la viticulture et la qualité du vin. Il démontre que la vigne est par nature une plante de sol pauvre, contrairement aux croyances de l’époque, et que la culture trop intensive donne des vins médiocres. Il compare le vignoble d’Argenteuil à celui de Suresnes et de Puteaux : le premier est mal entretenu, ses vins sont médiocres, alors que les vignes du Mont Valérien donnent un vin plus savoureux. Un principe que ne renient pas les vignerons d’aujourd’hui.



Après la journée internationale de la cuisine italienne, le 17 janvier, c’est la journée mondiale de la pizza le 9 février. De quoi réjouir les Français, qui en dévorent plus d’un milliard chaque année.





Margherita, quatre-saisons, regina ou calzone : autant de variations délicieuses mais quel vin choisir pour accompagner la célèbre spécialité napolitaine ?





Comme toujours, jouer la carte du local s’avère efficace. Partons pour un tour d’horizon des meilleurs vins italiens pour accompagner votre pizza préférée.





La barbera piémontaise : le choix du charme





Avec ses magnifiques collines parsemées de villas aux tons clairs, le Piémont est l’une de régions les plus fascinantes de l’Italie viticole. Le nebbiolo est le cépage emblématique du lieu: ses tannins robustes demandent les meilleurs terroirs, comme ceux de Barolo ou de Barbaresco. Plus souple et fruitée, la barbera, autre cépage noir, offre de riches arômes de framboise, de mûre, de prune et de cerise. Sous le nom de Barbera d’Asti ou de Barbera d’Alba, ses deux villages de prédilection, vous lui trouverez du charme et de l’élégance. Un choix parfait pour une très bonne pizza maison, aux artichauts et aux champignons. Luxe suprême : quelques lamelles de truffe… blanche d’Alba, bien sûr !





Valpolicella, le vin des amoureux



C’est un moment de douceur au cœur de l’hiver et on l’attend avec gourmandise : la Chandeleur ! Les poêles sont sorties, les œufs, le lait et la farine aussi : tout va bien. Mais quel vin servir avec vos recettes de crêpes préférées ? C’est l’occasion de (re)découvrir une magnifique appellation de Touraine : Montlouis-sur-Loire.





Mais où est Montlouis ?





Située face au vignoble de Vouvray, dans une langue de terre qui s’étire entre la Loire et le Cher, Montlouis-sur-Loire bénéficie d’une double influence océanique porteuse de douceur climatique. Le chenin, cépage emblématique de l’appellation, gagne une belle maturité gage de plénitude sans rien perdre de la finesse caractéristique des vins de la vallée.





C’est sur cette base que les vignerons élaborent des vins tranquilles, plus ou moins sucrés, ou des vins effervescents. Des vins tellement subtils que l’on se prend à penser que le charme des paysages de Touraine s’est glissé dans la bouteille.





Les vins effervescents sont de deux types : élaborés en méthode traditionnelle, comme les vins de Champagne et les crémants, ou fermentés partiellement en cuve avant d’être tirés pour terminer leur fermentation en bouteille.





Ces fines bulles offrent souvent des arômes très délicats d’acacia, de fleurs de printemps, de pomme fraîche et de poire de verger.









Crêpes au miel d’acacia et fines bulles de Montlouis Demi-sec





C’est le plus simple et peut-être le meilleur : une crêpe couverte d’une fine couche dorée de miel d’acacia et un Montlouis demi-sec. Totale fusion des arômes d’acacia ! Si vous aimez, quelques amandes effilées et grillées apporteront un peu de croquant et une touche torréfiée.





Et au fait, il est question d’acacia dans l’Aromabook du vin !









Et pour les becs salés ?





Laissez-vous tenter par une galette de sarrasin au chèvre Sainte-Maure de Touraine (on joue la carte du local !), roquette et fruits secs. Sur une tôle allant au four, étalez votre galette de sarrasin, puis de généreuses rondelles de fromage et terminez par les fruits secs (le mélange abricot sec-pruneau-noisettes grillées, finement haché, est à tester). Pliez la galette en deux et enfournez. Au sortir du four, quelques feuilles de roquette apporteront de la fraîcheur.





Une touche subtile de sucré-salé appelle souvent un vin blanc tendre comme le sont les vins de Montlouis. Vous pouvez aussi opter pour un vin tranquille de la même appellation, du moment qu’il a une touche de sucrosité.



Des bouteilles qui sommeillent tranquillement en attendant le moment optimal de dégustation : c’est le rêve de nombreux amateurs de vins. Mais disons-le d’emblée : la plupart des vins courants sont destinés à être bus jeunes, c’est-à-dire dans les deux à trois ans qui suivent le millésime. Alors, comment savoir si votre bouteille fétiche peut affronter le temps sans dépérir ? Voyons pourquoi certains vins se gardent… et d’autres pas !





Quels vins peut-on garder ?





On se demande souvent quels sont les vins de garde : ceux de Bordeaux ? De Bourgogne ? De la vallée du Rhône ? En fait, on ne peut dire d’aucune région viticole qu’elle ne produit que des vins de garde ou qu’elle n’en produit pas du tout. Les vins de Bordeaux sont connus pour bien vieillir, mais tous n’en ont pourtant pas le ressort. Le vignoble du Languedoc offre de nombreux rouges solides et structurés très capables de traverser le temps avec succès, même si la majorité du volume issu de cette région est plutôt constituée de vins à boire jeunes.





C’est donc une question de style plutôt que d’origine géographique. En fait, l’élaboration du vin a une part importante dans la capacité du vin à bien vieillir. Les vins aptes à une longue garde sont ceux qui offrent assez de résistance à l’oxydation lente qui ne manquera pas de se créer dans la bouteille. Le vin contient en effet de l’oxygène dissout, en quantité restreinte mais quand même suffisante pour le travailler. L’alcool, l’acide et les tannins étant de puissants antioxydants, les vins de garde contiendront beaucoup de l’un ou de plusieurs de ces composants.





Par conséquent, les vins blancs ou les vins effervescents peuvent tout aussi bien évoluer en bouteille que les vins rouges. Avis aux amateurs : Hermitage, Corton-Charlemagne, Meursault, Chablis, Vouvray sont autant d’appellations intéressantes si l’on souhaite se constituer une cave. Mention spéciale pour les vins de Champagne ou les vins jaunes, qui semblent devoir défier les années sans subir leur outrage !





Comment savoir si vous avez affaire à un vin de garde ?





Un moyen simple de le savoir, c’est de le déguster. On peut donc conseiller d’acheter et de d’ouvrir une bouteille avant d’acquérir des quantités plus importantes, afin d’éviter toute déception.





En dégustant, prêtez surtout attention à la structure du vin : son taux d’alcool (facile, il est écrit sur la bouteille), son acidité (qui fait saliver) et ses tannins (s’il s’agit d’un vin rouge) sont de précieux atouts. Si votre vin en est bien doté, c’est bien parti. La concentration est un indice complémentaire : la puissance des arômes au nez et en bouche pourra donc vous confirmer vos premières impressions.





Un vin de garde peut ne pas être agréable à déguster dans sa prime jeunesse : il peut paraître trop tannique ou trop dur. Ne vous laissez pas impressionner mais, en revanche, ne pensez pas qu’un vin de qualité modérée se magnifiera avec le temps. On ne peut donner que ce que l’on a…





Pourquoi le vin devient-il meilleur avec le temps ?





C’est une question de point de vue : on peut aimer les vins jeunes tout autant que les vins à maturité, de la même manière qu’on peut préférer le design contemporain aux commodes Louis XV.





En revanche, une chose est sûre : le vin se modifie avec le temps, sous l’effet des réactions lentes qui se passent dans la bouteille. La couleur des vins blancs fonce et passe du jaune paille au jaune doré. Celle des vins rouges, au contraire, s’éclaircit et passe d’un rubis vif à un grenat un peu translucide, avant de développer des nuances de bois d’acajou. Les tannins s’atténuent et s’assouplissent. Quant aux arômes, ils explosent ! Contrairement à ce que l’on croit généralement, la palette aromatique des vins ne s’éteint pas : elle s’enrichit avec le temps. On passe d’arômes fruités ou floraux à des arômes plus subtils de fruits secs, de sous-bois, de cuir, de truffe, d’épices douces. Un bouquet qui vous fait oublier en un instant vos longues années de patience.





Comment bien faire vieillir un vin ?





Quelques précautions simples garantissent un bon vieillissement du vin. La température doit se situer entre 10 et 15 °C. Au-delà, les échanges entre les gaz dissouts dans le vin s’accélèrent et l’oxydation prend plus de place qu’elle ne devrait. Pensez aussi à ménager une hygrométrie élevée, d’au moins 70 %. L’absence de lumière et de vibrations sont aussi importantes. Enfin, le bouchon le plus parfait n’étant pas parfaitement hermétique, n’oubliez pas que les odeurs parasites peuvent entrer dans la bouteille par les pores du liège. Alors, exit pots de peinture ouverts et cartons moisis !





Quant à la durée de vieillissement idéale, elle est à apprécier au cas par cas. Demandez conseil à votre caviste ou au vigneron et pensez à ouvrir régulièrement une bouteille pour voir où en est l’évolution de votre vin. Bonne dégustation !



Il sait tout faire, il touche à tout et il voit loin : portrait d’André Jullien.





Comment écrire un best-seller





Natif de Châlons-sur-Saône, le jeune André Jullien monte à Paris, armé de son seul talent. D’abord commis chez un marchand de vin, il s’installe rapidement négociant à la halle du quai Saint-Bernard.





Plantons le décor : la halle aux vins fins de Paris, installée le long du quai de Seine pour décharger facilement les fûts charriés par bateau, occupe l’ancien emplacement de l’abbaye Saint-Victor. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les Parisiens sont friands de crus venus de loin : entre autres, ils apprécient les vins suaves d’Alicante ou les blancs charnus du Rhin. Tout cela converge vers la halle Saint-Bernard, qui prend des allures de caverne d’Ali Baba. Seulement, tous les négociants ne sont pas des as en matière de géographie et plus d’une erreur entache le commerce de ces vins.





André Jullien a alors l’idée de faire la somme des connaissances sur la question. Il publie en 1816 la Topographie de tous les vignobles connus, catalogue détaillé des vins, classés selon leur niveau de qualité, à l’usage de ses confrères. Ce livre fait date : c’est le premier à traiter les vins de manière précise, quasi scientifique, et pratique à la fois. On y trouve tout : des informations sur le vignoble, sur le style et la qualité du vin et aussi de nombreuses indications de prix. L’ouvrage dépasse le public des professionnels et des amateurs s’en emparent : l’ouvrage devient un best-seller réédité deux fois du vivant de l’auteur. Aujourd’hui, la Topographie d’André Jullien sert toujours aux historiens. Merci, André !





Œnologue avant la lettre





Son savoir-faire ne s’arrête pas là. Très influencé par les travaux de Jean-Antoine Chaptal, il fait le tour de la question de la qualité du vin dans son ouvrage le Manuel du sommelier, qui serait plutôt à classer au nombre des traités d’œnologie de nos jours. Tout y passe pour comprendre les secrets d’un vin de qualité, depuis l’installation de la cave au choix des bouchons, en passant par le nettoyage des fûts et la clarification. Sur ce point, il ne tarit pas, surtout parce qu’il a mis au point plusieurs poudres pour clarifier les vins dont il fait commerce. Toutes les bases de l’œnologie moderne y sont : il comprend l’importance de l’hygiène et de la température dans prévention des altérations du vin. Il explique que les changements de contenant sont source de risques et il préconise l’utilisation de tuyaux propres et efficaces pour les minimiser.





Les mots pour le dire





Dans ses nombreuses compétences, André Jullien peut compter sur une grande aptitude à la dégustation. Ce n’est pas inutile à l’époque ! En effet, de nombreux vins sont « coupés », terme poli par lequel on désigne un vin frelaté. Savoir discerner par la dégustation un vin authentique d’une copie médiocre est crucial pour un professionnel. André Jullien met donc au point une méthode de dégustation complète, organisée et applicable à tous les vins. Il propose tout un vocabulaire pour décrire les sensations, les arômes, les styles. Il distingue avec finesse de nombreux défauts comme l’aigre, le moisi mais aussi le « terroir » (comprenez le goût rustique de terre) ou « l’herbage ». À la lecture de ses écrits, on est frappé de voir que ses observations sont encore pertinentes de nos jours.



Lundi 6 décembre 2021, le prestigieux Prix Rungis des Gourmets a été décerné à notre nouvel ouvrage Le Goût de Paris et remis par Stéphane Layani, président-directeur général du Marche International de Rungis.











Le Prix Rungis des Gourmets, héritier d'une grande tradition de prix littéraires





C'est en 1969, année du transfert des Halles de Paris à Rungis, que naît le Prix Rungis Saint-Eustache, destiné à perpétuer les valeurs de l'ancien marché central de la capitale.





En 2004, le prix est renommé "Prix de la Commanderie des Gastronomes Ambassadeurs de Rungis", tout en gardant les mêmes valeurs centrées sur la défense des produits de qualité. Il perdure jusqu'en 2012.





Cet esprit renaît 2019 avec le Prix Rungis des Gourmets, remis à des ouvrages qui célèbrent la gastronomie sous toutes ses formes en mettant en valeur sa dimension culturelle.





Le jury est composé d'experts venant d'horizons variés: chefs, professionnels de l'édition, de la librairie mais aussi des métiers de bouche. Tous ont pour mission d'attribuer le prix à l'ouvrage qui porte le mieux, dans la sélection, les valeurs défendues par le Marché International de Rungis.











Le terroir francilien à l'honneur





Beurre de Vanves, pain de Gonesse, cresson de Méréville mais aussi micro-brasseries et grands crus de Paris: c'est le terroir de la capitale et de sa région qui a retenu l'attention passionnée du jury. Ce terroir qui a fait vivre des millions de Parisiens à travers l'histoire est à l'honneur. Comme le sont les recettes cultes de la capitale, des pommes Pont-Neuf à la gratinée des Halles, en passant par les talmouses, recette oubliée mais pas perdue, et le boeuf à la ficelle.















Étienne Chevalier (1750-1828) est vigneron à Argenteuil lorsque la Révolution éclate. Député aux États généraux de 1789, il sera membre de l’Assemblée Constituante. Malgré cette activité qui ne devait pas être de tout repos, il continue son métier d’origine qu’il cherche à perfectionner. Comme Maupin, il est conscient de la médiocre qualité des vins de son époque mais, comme Maupin, il refuse d’y voir une fatalité. Il met en pratique les préceptes de Maupin : protéger les raisins et les moûts de l’air, chauffer le moût pour soutenir la fermentation. Il insiste sur la nécessité de finir tranquillement la fermentation avant d’écouler le vin, le temps que la fermentation se propage dans toute la cuve, alors qu’on pense à l’époque que la fermentation la plus rapide est la meilleure. Les travaux de Chaptal l’impressionnent et pratique l’enrichissement des moûts au sucre pour élever le degré d’alcool et compenser le manque de maturité des raisins lié au climat. Mais surtout, il met l’accent sur le soin qu’il faut apporter à la vinification. Si ce précepte semble évident aujourd’hui, il ne l’est pas à l’époque où l’on pense que si on fait le vin vite, il sera meilleur car il aura moins d’occasions de se gâcher. « C’est l’art qui fait le vin », dit-il. Beau précepte dans lequel de nombreux vignerons d’aujourd’hui se reconnaissent.





Faisant d’une pierre deux coups, il profite de sa présence à l’Assemblée pour défendre les vignerons devant ses collègues. En 1790, il monte à la tribune pour tonner contre l’effet néfaste des taxes excessives qu’ils doivent supporter et impute la médiocre qualité des vins des alentours de Paris à la pression fiscale, qui oblige les vignerons à produire des quantités importantes de vins pour gagner leur vie, au détriment de la qualité du produit. Il faut croire qu’il a touché au cœur les vignerons d’Argenteuil car ceux-ci l’élisent maire l’année suivante.



Praticiens passionnés par les avancées scientifiques de leur temps ou scientifiques passionnés de vin, ils ont un point commun : le goût du vrai bon vin… du Grand Paris !





On ignore bien des choses sur monsieur Maupin : son prénom, sa date de naissance et sa date de décès. Peu importe : il nous a laissé une impressionnante liste d’écrits sur la vigne et le vin, intarissable source d’inspiration chez lui entre 1763 et 1789.





À partir de 1750, l’agriculture est furieusement tendance dans l’élite de la société française. Dans le grand monde, on se targue de connaître à fond les écrits des agronomes. Ceux-ci n’ont qu’une seule préoccupation : produire plus en dépensant moins. En matière de viticulture, celui qui se distingue en la matière, c’est Maupin. Valet de chambre de Marie Leczinska, l’épouse de Louis XV, il est aussi propriétaire vigneron à Triel, dans l’actuel département des Yvelines. Pendant plus de 25 ans, il a mené sans relâche des expériences pour améliorer la culture de la vigne dans son vignoble mais aussi ceux de la région. Dans ses écrits, il se contredit souvent, se trompe parfois mais cherche inlassablement. Il croit à ce qu’il fait, en se fondant sur l’observation et l’expérience. En 1763, il publie sa Nouvelle méthode de cultiver la vigne, ouvrage révolutionnaire pour l’époque où il préconise de cultiver moins de ceps mais de mieux les entretenir, ce en quoi il va à l’encontre de la préoccupation des vignerons de son époque, qui n’ont qu’un credo : produire beaucoup, à n’importe quelles conditions.





Mais son coup de maître, c’est de comprendre qu’il faut adapter les méthodes de vinification au climat de la vigne : son idée, c’est qu’on ne vinifie pas de la même manière à Paris que dans les vignobles méridionaux. Pour encourager la fermentation, il préconise de chauffer quelques chaudrons de moûts qui sont ajoutés à la cuve. Il comprend aussi que l’oxygène est nuisible au raisin qui fermente et recommande de fermer les cuves en fermentation. Il pratique de soigneux égrappages du raisin pour éviter que les rafles ne communiquent des mauvais goûts au vin. Ces principes sont toujours d’actualité. Son profond respect du travail du vigneron est atypique pour l’époque, ce qui ne l’empêche pas de les critiquer quand il le juge nécessaire. Il proteste contre l’abandon des bons cépages au profits des moins bons, sous prétexte qu’ils sont plus productifs, ce qui lui vaut l’inimitié de ses confrères vignerons. Mal compris et peu apprécié de son temps, Maupin sera cependant l’un des inspirateurs d’Étienne Chevalier.



Chaque année, le troisième dimanche de novembre, se tient la vente des vins des Hospices de Beaune. Un événement mondial que les collectionneurs ne manqueraient pas pour un empire.





La plus ancienne vente de charité au monde





Tout commence en 1443. La guerre de Cent Ans, qui oppose la France à l’Angleterre, fait rage avec son lot de pillages et de violences. La pauvreté et la faim frappent durement de nombreux beaunois. Nicolas Rolin, alors chancelier du Duc de Bourgogne, et son épouse Guigone de Salins, décident de fonder un hôtel-Dieu à Beaune pour secourir les malades pauvres. Afin d’assurer un revenu stable à leur fondation, ils la dotent d’un domaine viticole. Dès 1457, de nobles et riches bourgeois viennent à leur tour augmenter cette dotation initiale. Le don le plus récent a eu lieu en 2015.





Un domaine, un vrai





Le domaine représente aujourd’hui 60 hectares, 50 de pinot noir et 10 de chardonnay.





Ludivine Griveau assure la direction technique du vignoble et des vins. C’est la première femme régisseur du domaine. Les parcelles sont exploitées par 23 viticulteurs, sans recours aux herbicides de synthèse et en privilégiant les techniques écologiques. Le domaine produit 50 cuvées, 33 de pinot noir et 17 de chardonnay, principalement des premiers et grands crus. Elles sont élaborées dans la cuverie du domaine.





La vente





Les vins sont vendus aux enchères depuis 1859. En 1924, on décide que l’événement aura lieu le troisième jeudi de novembre, pour l’associer à la foire gastronomique de Dijon.





Les vins sont mis en vente en primeur, c’est-à-dire qu’il s’agit de la récolte de l’année qui n’a pas encore accompli son élevage. Deux jours avant la vente, les potentiels acquéreurs peuvent déguster les vins dans la cuverie du domaine. Le jour J, dans une ambiance effervescente, les enchères s’ouvrent sous la halle des hospices. Les participants sont des professionnels mais aussi des particuliers ou des associations d’amateurs. Les acquéreurs ne repartent pas avec leur vin mais le confient à un négociant de leur choix qui se chargera de l’élevage, d’une durée de 12 à 24 mois, avant la mise en bouteille. Chaque vin porte le nom de la parcelle d’origine et de celui ou celle qui en a fait don.





Où vont les fonds récoltés ?





Les Hospices soutiennent aussi d’autres œuvres caritatives placées sous le parrainage d’une personnalité. Pour cela, ils mettent en vente un fût appelé « Pièce du Président ». La vente a lieu à la bougie, entre 15h30 et 16h30, et doit être conclue avant que la bougie ne s’éteigne. La pièce du président suscite toujours beaucoup d’émotion par sa portée symbolique, ce qui se reflète dans les prix astronomiques qu’elle atteint.





Aujourd’hui comme hier, la vente a pour but de récolter des fonds pour financer les œuvres caritatives des Hospices. Les soins médicaux en constituent une part importante via le Centre hospitalier Philippe le Bon de Beaune, qui compte plus de 1000 soignants, tous métiers confondus. À cela s’ajoutent plusieurs maisons de retraite ainsi qu’un centre de formation aux soins infirmiers. Ainsi perdure l’esprit des fondateurs.





Les fruits de la vente servent aussi à l’entretien du patrimoine de l’hôtel-Dieu, célèbre dans le monde entier pour ses tuiles multicolores, et des 5000 meubles et objets d’art qu’il abrite.