Il sait tout faire, il touche à tout et il voit loin : portrait d’André Jullien.
Comment écrire un best-seller
Natif de Châlons-sur-Saône, le jeune André Jullien monte à Paris, armé de son seul talent. D’abord commis chez un marchand de vin, il s’installe rapidement négociant à la halle du quai Saint-Bernard.
Plantons le décor : la halle aux vins fins de Paris, installée le long du quai de Seine pour décharger facilement les fûts charriés par bateau, occupe l’ancien emplacement de l’abbaye Saint-Victor. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les Parisiens sont friands de crus venus de loin : entre autres, ils apprécient les vins suaves d’Alicante ou les blancs charnus du Rhin. Tout cela converge vers la halle Saint-Bernard, qui prend des allures de caverne d’Ali Baba. Seulement, tous les négociants ne sont pas des as en matière de géographie et plus d’une erreur entache le commerce de ces vins.
André Jullien a alors l’idée de faire la somme des connaissances sur la question. Il publie en 1816 la Topographie de tous les vignobles connus, catalogue détaillé des vins, classés selon leur niveau de qualité, à l’usage de ses confrères. Ce livre fait date : c’est le premier à traiter les vins de manière précise, quasi scientifique, et pratique à la fois. On y trouve tout : des informations sur le vignoble, sur le style et la qualité du vin et aussi de nombreuses indications de prix. L’ouvrage dépasse le public des professionnels et des amateurs s’en emparent : l’ouvrage devient un best-seller réédité deux fois du vivant de l’auteur. Aujourd’hui, la Topographie d’André Jullien sert toujours aux historiens. Merci, André !
Œnologue avant la lettre
Son savoir-faire ne s’arrête pas là. Très influencé par les travaux de Jean-Antoine Chaptal, il fait le tour de la question de la qualité du vin dans son ouvrage le Manuel du sommelier, qui serait plutôt à classer au nombre des traités d’œnologie de nos jours. Tout y passe pour comprendre les secrets d’un vin de qualité, depuis l’installation de la cave au choix des bouchons, en passant par le nettoyage des fûts et la clarification. Sur ce point, il ne tarit pas, surtout parce qu’il a mis au point plusieurs poudres pour clarifier les vins dont il fait commerce. Toutes les bases de l’œnologie moderne y sont : il comprend l’importance de l’hygiène et de la température dans prévention des altérations du vin. Il explique que les changements de contenant sont source de risques et il préconise l’utilisation de tuyaux propres et efficaces pour les minimiser.
Les mots pour le dire
Dans ses nombreuses compétences, André Jullien peut compter sur une grande aptitude à la dégustation. Ce n’est pas inutile à l’époque ! En effet, de nombreux vins sont « coupés », terme poli par lequel on désigne un vin frelaté. Savoir discerner par la dégustation un vin authentique d’une copie médiocre est crucial pour un professionnel. André Jullien met donc au point une méthode de dégustation complète, organisée et applicable à tous les vins. Il propose tout un vocabulaire pour décrire les sensations, les arômes, les styles. Il distingue avec finesse de nombreux défauts comme l’aigre, le moisi mais aussi le « terroir » (comprenez le goût rustique de terre) ou « l’herbage ». À la lecture de ses écrits, on est frappé de voir que ses observations sont encore pertinentes de nos jours.