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Pendant des siècles, l'Île-de-France connaissent l'effervescence des vendanges dans le vignoble qui entoure la capitale. De passionnantes sources historiques et littéraires font mention de ce moment si particulier.





Abondance, pénurie et loi du marché





À l'époque comme aujourd’hui, les millésimes se suivent et ne se ressemblent pas. Avec sa situation septentrionale, le vignoble de Paris est exposé à un risque majeur : celui du gel de printemps, que connaissent bien les vignerons de Chablis à l'heure actuelle. Le gel de printemps détruit les jeunes bourgeons et gomme tout espoir de récolte, ce qui provoque souvent une hausse marquée des prix du vin. Ce phénomène n’est pas si rare car il touche le vignoble deux à trois fois par décennie.  On vendange habituellement entre fin septembre et début octobre avec des décalages liés aux conditions de météo.





Un bon millésime se voit souvent à la facilité avec laquelle le moût fermente. Les vins sont stables et ils se conservent bien, sans développer de mauvais arômes ni tourner au vinaigre. En 1424, la vendange est tellement belle et abondante qu’elle provoque une crise sur le marché du tonneau : en effet, pour pouvoir faire fermenter l’immense quantité de raisin qui déferle du jour au lendemain, il faut des contenants en grand nombre immédiatement. La demande est telle qu’elle provoque une pénurie de fûts et une flambée des prix. Par ricochet, le vin lui-même devient hors de prix. Le retour à la normale prendra deux ans.





Fatal hiver 1709 !





Cet hiver-là, sous le règne de Louis XIV, l’Île-de-France, comme tout le reste du pays, grelotte.  Dans la nuit du 5 au 6 janvier, le vent du nord s’abat brutalement et un froid sibérien s’installe. Le 13 janvier, le thermomètre marque – 20 °C et il restera à ce niveau pendant 10 jours. Le 24 janvier, le dégel s’annonce et les vignerons, soulagés, voient leurs vignes indemnes alors que de nombreux arbres sont endommagés. Mais le 4 février, le froid revient et tout regèle en profondeur jusqu’au 10. Aux alentours du 15, les températures sont printanières. Nouvelle fausse joie : le froid se réinstalle et on voit – 15 °C le 23 février. Le froid dure jusqu’au 15 mars. Et le bilan s’avère lourd : les ceps sont endommagés, il n’y a pas de bourgeon, rien ne pousse. La vendange de 1709 sera réduite comme peau de chagrin et atteindra à peine 10 % de la normale. Celle de 1710 ne sera guère plus brillante car elle a souffert du manque de bois qui n’a pas poussé l’année précédente.





Un malheur n’arrive jamais seul : le vin a gelé dans les caves ! Il est invendable. Suivant la bonne vieille règle économique qui veut que ce qui est rare est cher, les prix montent en flèche et ils resteront à un niveau stratosphérique jusqu’à la fin de 1710. La pénurie de vin et les prix élevés donnent aux vignerons une frénésie de plantation dès 1710. Pressés de regagner ce qu’ils ont perdu, ils veulent produire vite et beaucoup. Pour une fois que les prix montent, quelle aubaine. On replante les pieds de vigne disparus en 1709 mais on abandonne les cépages de qualité au profit du gamay, plus productif, capable de produire des gros volumes de vin. La qualité des vins, c’est signé, ne sera plus jamais la même au lendemain de ce fatal hiver.





Illustration : carte postale ancienne, collection personnelle.



Les arômes aussi ont une histoire : c'est le sujet de ce deuxième volet d'une série consacrée à l'histoire du goût du vin.





Les diamants sont peut-être éternels mais pas les arômes du vin





Chaque époque a son propre référentiel, qui exprime ses goûts et dégoûts. Une constante depuis le milieu du XVIIIème siècle, c’est que l’arôme se doit d’être subtil pour être considéré comme bon. Aujourd’hui encore, une odeur forte est associée à la saleté ou à la vulgarité. En revanche, les notes florales sont appréciées pour leur (prétendue) légèreté.





Pendant longtemps, les arômes n’ont servi qu’à évaluer l’état sanitaire du vin : on traque le « goût de pourri » ou le « goût de vinaigre », sans plus de détails. À partir du XIXème siècle, les négociants se servent aussi des arômes pour détecter les vins douteux, issus d’un coupage frauduleux.





À la même époque, commence une tradition d’œnophilie chez les gastronomes célèbres. Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) est l’un des premiers. Un peu plus tard viennent des plumes talentueuses telles que Colette (1873-1954), Curnonsky (1872-1956) ou Henry Clos Jouve (1908-1981). Pour parler des arômes, ils usent de métaphores et de termes poétiques qui expriment le mieux à leurs yeux la qualité ressentie.





Avec l’avènement de l’œnologie professionnelle, au milieu du XXème siècle, le temps vient de la description systématique des arômes appuyée sur des connaissances en chimie. Jules Chauvet, éminent œnologue considéré aujourd’hui comme le père des vins nature, a laissé de nombreux écrits où il nomme des arômes précis qu’il relie avec l’origine, le cépage ou la méthode de vinification.





Il y a des exceptions à la règle et il existe des arômes à la vie dure, quitte à changer en cours de route. Ainsi de la noisette : son nom a servi longtemps de terme passe-partout pour désigner quelque chose qui n’était ni fruité, ni floral, ni un défaut. En fait, nous savons maintenant qu’il est typique des lies naturelles.





Du ketchup dans le vin





Je me souviens que, dans mes premières années dans l’univers du vin, j’entendais des critiques français se moquer des arômes décrits par le critique Robert Jr. Parker. À l’époque, le Grand Bob faisait la pluie et le beau temps en distribuant des notes sur 100 dans son Wine Advocate. Et le tout-puissant Américain n’hésitait pas à dire qu’il trouvait des notes de ketchup dans les meilleurs vins du Bordelais. Shocking !





Nommer les arômes dépend aussi de votre référentiel. C’est pour cela qu’il y a une influence de la culture et de l’éducation au goût que chacun a reçue.





Je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer Robert Jr. Parker et de lui demander ce qu’il voyait de commun entre un vin et du ketchup. Mais je suis sûre d’une chose : quand on déguste beaucoup, on finit par se construire une vaste bibliothèque d’arômes, qui peut surprendre parfois, mais qui n’en demeure pas moins efficace.





Émotion et perception, les raisons de l’évolution





Dans Bleu : histoire d’une couleur, l’historien Michel Pastoureau nous apprend qu’en Grèce antique, le bleu est absent de la culture et même de la langue : il n’existe pas de terme pour désigner cette couleur, alors qu’elle est omniprésente dans le ciel et la mer. Zeus aurait-il, dans un moment de colère, rendu les Grecs aveugles au bleu ? Pour une fois, le roi de l’Olympe n’y est pour rien. C’est que cette couleur ne signifie rien pour les Grecs, si bien qu’ils la voient sans la remarquer. Il en va de même pour les arômes : nous ne leur attribuons pas à tous la même valeur.





Il y a ainsi des arômes jugés agréables ou désagréables et la limite entre les deux varie d’une personne à une autre. Le vin jaune du Jura exhale un arôme de noix verte qui rebute certains, même parmi les connaisseurs, et enchante d’autres. Même certains défauts œnologiques peuvent être appréciés ! Avec son roman Le Parfum, Patrick Süskind nous avait bien prévenus : les odeurs ont sur les êtres humains un pouvoir contre lequel ils ne peuvent rien. Un arôme est un puissant vecteur d’émotion



La guinguette, c'est d'abord un îlot de verdure.





À lire dans La Montagne, édition du 16 août 2023, un article de Sophie Leclanché sur le renouveau des guinguettes. Ce renouveau est-il un complet retour aux sources ? C'était la question qu'elle me posait en interview pour ce bel article.





La guinguette est un phénomène de société. Les urbains en mal de verdure vont chercher aux limites de la ville un coin où se ressourcer et s'amuser. Avec, en prime au XIXème siècle, un petit vin pas trop cher pour se désaltérer.





Loin de vouloir entretenir les clichés véhiculés par certains films d'époque, Sophie Leclanché cherche à comprendre qui étaient les clients des guinguettes et ce qu'ils y recherchaient. Il y a eu peu de guinguettes huppées mais elles ne sont pas non plus accessibles à tous : l'entrée est payante, en tout cas pour les hommes. On y trouve un monde bigarré, où se mêlent commerçants, artisans et petits employés de bureaux. Mais aussi, dans certaines, un monde plus canaille, des "marlous" et voyous de tous genres.





La danse y occupe une place très importante. C'est autant pour danser que pour boire que l'on fréquente une guinguette. Si l'orchestre est de dimensions modestes, il ne se laisse pas dépasser pour autant et on entend sonner les airs à la dernière mode, depuis le milieu de l'après-midi jusqu'en pleine nuit.









Tout un programme à retrouver dans Le Goût de Paris !



On peut dire que le vin et le patrimoine entretiennent des liaisons tout à fait officielles : plusieurs régions viticoles figurent ainsi à l’inventaire du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. En France, c’est le cas des climats de Bourgogne, des villages champenois ou de Saint-Émilion.





Au fait, personne n’en est surpris. Le prestige de ces régions est tel, et depuis si longtemps, que le classement paraît naturel. Mais le prestige seul fait-il la valeur patrimoniale ?





À la regarder de près, on s’aperçoit que la définition retenue par l’UNESCO a les contours larges. « Le patrimoine est l’héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir », explique l’organisation internationale sur son site internet.





Il s’agirait donc de vins dont l’élaboration, très ancienne, existe toujours aujourd’hui. Alors, partons librement à la recherche de 5 de ces vins plus patrimoniaux qu’il n’y paraît.









Le vin des Allobroges





Les Allobroges sont une peuplade installée depuis le IIIème siècle avant l’ère chrétienne dans les Alpes septentrionales, dans un territoire compris entre les rives du Rhône et les contreforts alpins.





Quelques siècles plus tard, à la période gallo-romaine, plusieurs auteurs latins parlent d’un vin nommé « allobrogicum » dont raffole l’élite de Rome…





À quoi ressemblait-il ? Certains parlent d’un cépage typique de cette contrée et que les Allobroges auraient cultivé. Problème : jusqu’à présent, pas le moindre pépin de raisin collé sur un tesson d’amphore ne nous donne de preuve.





Le vin des Allobroges serait-il le « vinum picatum », le vin poissé, très apprécié à Rome ? Possible. Pour les rendre étanches pendant le transport, les amphores étaient enduites de poix. Le vin en prenait le goût et le gardait. Mais là encore, pas de preuve tangible.





Tout cela conduit certains historiens à douter que les Allobroges aient produit du vin.  Il est sûr en revanche que les Allobroges ont mené un très fructueux commerce avec Rome et, ça, c’est déjà une performance.





Et aujourd’hui ? Il existe une Indication Géographique Protégée « Vin des Allobroges », dont la zone de production est comprise entre les Alpes, le Rhône et l’Isère. On y produit blancs, rouges et rosés à partir d’une belle collection de cépages.





Vous pensez qu’ils ont toujours du succès à Rome ?









Le Beaujolais Nouveau





On peut imaginer la scène dans l’Égypte, la Grèce ou la Rome antiques : des raisins sont grossièrement foulés au pied, avant d’être déversés dans des amphores. Cette scène a été représentée de multiples fois, en peinture ou en mosaïque, dans ces trois cultures.





C’est l’aube du vin qui se lève et c’est, à peu de chose près, la recette du Beaujolais Nouveau.





Un moût dans lequel subsistent des baies entières crée les mêmes conditions de fermentation que celles du vin rouge fruité offert à la vente le troisième jeudi de novembre. D’ailleurs, le vin était réputé meilleur dans sa jeunesse qu’après un an de conservation, une caractéristique qu’ont toujours les vins nouveaux.









Le Gris de Toul





C’est le vin emblématique des Côtes de Toul, en Lorraine. Un vin issu de cépages noirs principalement (gamay et pinot noir) pressés sans que les pellicules aient le temps de relâcher de la couleur dans le jus. Le résultat : un blanc légèrement teinté.





Et il a la vie dure. On a rapporté que c’est le vin qui a été servi à la signature du traité de Verdun, en août 843. Les héritiers de Charlemagne voulaient sans doute boire local…





Quelques siècles plus tard, Élisabeth-Charlotte de Bavière, belle-sœur de Louis XIV, en fait venir à Versailles pour accompagner sa choucroute. Elle le trouve aussi bon que les vins de la région de Mayence, ce qui, sur ses lèvres, n’est pas un petit compliment. On sait que la dame avait un certain franc-parler, ce qui lui a valu bien de nombreux déboires à la cour !









La méthode ancestrale





Dites « pét’ nat’ » pour avoir l’air au courant.





On la pratique notamment à Gaillac, à Montlouis ou dans le Diois.





Comme son nom l’indique, c’est la méthode originelle pour obtenir des vins effervescents.





A priori, tout paraît simple : on commence la fermentation en cuve. En cours de route, on embouteille le vin, de manière qu’il garde du dioxyde de carbone pour lui apporter de l’effervescence.





Mais un vin en fermentation est par nature instable et l’exercice peut se solder par un échec cuisant et une absence complète de bulles. C’est pour pallier cette faille que Dom Pérignon (1638-1715) a jeté les fondements de la méthode traditionnelle, dans laquelle le vin subit deux fermentations : l’une pour stabiliser le vin, l’autre pour produire du gaz d’effervescence. Un progrès en la matière.









Le vin anonyme





Il ne bénéficie d’aucune AOP. Il n’a pas vraiment de nom. Il est rouge, blanc ou rosé, peu importe. C’est le vin au pichet, le vin au verre, le vin au comptoir.





Autrefois, c’était le vin des guinguettes, un peu raide mais sympathique, qui met de la chaleur au ventre le dimanche.





Immortalisé par Auguste Renoir dans "Le déjeuner des canotiers », c’est le vin qui fait plaisir, celui, peut-être, que nous connaissons le mieux.





Hommage au soldat inconnu du monde du vin.



Saviez-vous que l’un des modes de taille de la vigne les plus pratiqués en France a été mis au point à Argenteuil ?





L’obsession de la qualité





Jules Guyot est d’abord reçu docteur en médecine avant de s’intéresser à la physique. La politique le tente un moment mais il est déçu par la monarchie de Juillet, ce qui le décide à se consacrer à des recherches scientifiques en viticulture. Pendant près de trois décennies, il parcourt le vignoble français de fond en comble.  Il observe tout, note tout et ne s’en laisse pas conter. Son obsession : produire les meilleurs vins possibles.





Le laboratoire d’Argenteuil





Certains vignobles d’Île-de-France l’affligent et il déplore la mauvaise qualité des vins qui en sortent. C’est, selon lui, le résultat d’un mauvais choix de cépage : « les coteaux d’Argenteuil, admirablement situés et d’un sol vignoble (sic) de première qualité, s’ils étaient replantés en fins cépages, donneraient comme autrefois des premiers vins de France », écrit-il.  Entre 1845 et 1847, il expérimente dans le vignoble d’Argenteuil une taille basse à long bois, appelée depuis lors « taille Guyot ». De la souche part un long sarment qui porte les grappes. Ce n’est pas à proprement parler son invention mais il parvient à en comprendre l’intérêt et à en fixer la méthode. Ses résultats sont étonnants car il parvient à redonner vigueur à de vieux ceps stériles.





Belle vigne, beau vin





Dans son ouvrage Culture de la vigne et vinification, dans lequel il fait la synthèse de tous ses travaux, Guyot établit clairement un lien entre la viticulture et la qualité du vin. Il démontre que la vigne est par nature une plante de sol pauvre, contrairement aux croyances de l’époque, et que la culture trop intensive donne des vins médiocres. Il compare le vignoble d’Argenteuil à celui de Suresnes et de Puteaux : le premier est mal entretenu, ses vins sont médiocres, alors que les vignes du Mont Valérien donnent un vin plus savoureux. Un principe que ne renient pas les vignerons d’aujourd’hui.



Il sait tout faire, il touche à tout et il voit loin : portrait d’André Jullien.





Comment écrire un best-seller





Natif de Châlons-sur-Saône, le jeune André Jullien monte à Paris, armé de son seul talent. D’abord commis chez un marchand de vin, il s’installe rapidement négociant à la halle du quai Saint-Bernard.





Plantons le décor : la halle aux vins fins de Paris, installée le long du quai de Seine pour décharger facilement les fûts charriés par bateau, occupe l’ancien emplacement de l’abbaye Saint-Victor. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les Parisiens sont friands de crus venus de loin : entre autres, ils apprécient les vins suaves d’Alicante ou les blancs charnus du Rhin. Tout cela converge vers la halle Saint-Bernard, qui prend des allures de caverne d’Ali Baba. Seulement, tous les négociants ne sont pas des as en matière de géographie et plus d’une erreur entache le commerce de ces vins.





André Jullien a alors l’idée de faire la somme des connaissances sur la question. Il publie en 1816 la Topographie de tous les vignobles connus, catalogue détaillé des vins, classés selon leur niveau de qualité, à l’usage de ses confrères. Ce livre fait date : c’est le premier à traiter les vins de manière précise, quasi scientifique, et pratique à la fois. On y trouve tout : des informations sur le vignoble, sur le style et la qualité du vin et aussi de nombreuses indications de prix. L’ouvrage dépasse le public des professionnels et des amateurs s’en emparent : l’ouvrage devient un best-seller réédité deux fois du vivant de l’auteur. Aujourd’hui, la Topographie d’André Jullien sert toujours aux historiens. Merci, André !





Œnologue avant la lettre





Son savoir-faire ne s’arrête pas là. Très influencé par les travaux de Jean-Antoine Chaptal, il fait le tour de la question de la qualité du vin dans son ouvrage le Manuel du sommelier, qui serait plutôt à classer au nombre des traités d’œnologie de nos jours. Tout y passe pour comprendre les secrets d’un vin de qualité, depuis l’installation de la cave au choix des bouchons, en passant par le nettoyage des fûts et la clarification. Sur ce point, il ne tarit pas, surtout parce qu’il a mis au point plusieurs poudres pour clarifier les vins dont il fait commerce. Toutes les bases de l’œnologie moderne y sont : il comprend l’importance de l’hygiène et de la température dans prévention des altérations du vin. Il explique que les changements de contenant sont source de risques et il préconise l’utilisation de tuyaux propres et efficaces pour les minimiser.





Les mots pour le dire





Dans ses nombreuses compétences, André Jullien peut compter sur une grande aptitude à la dégustation. Ce n’est pas inutile à l’époque ! En effet, de nombreux vins sont « coupés », terme poli par lequel on désigne un vin frelaté. Savoir discerner par la dégustation un vin authentique d’une copie médiocre est crucial pour un professionnel. André Jullien met donc au point une méthode de dégustation complète, organisée et applicable à tous les vins. Il propose tout un vocabulaire pour décrire les sensations, les arômes, les styles. Il distingue avec finesse de nombreux défauts comme l’aigre, le moisi mais aussi le « terroir » (comprenez le goût rustique de terre) ou « l’herbage ». À la lecture de ses écrits, on est frappé de voir que ses observations sont encore pertinentes de nos jours.



Étienne Chevalier (1750-1828) est vigneron à Argenteuil lorsque la Révolution éclate. Député aux États généraux de 1789, il sera membre de l’Assemblée Constituante. Malgré cette activité qui ne devait pas être de tout repos, il continue son métier d’origine qu’il cherche à perfectionner. Comme Maupin, il est conscient de la médiocre qualité des vins de son époque mais, comme Maupin, il refuse d’y voir une fatalité. Il met en pratique les préceptes de Maupin : protéger les raisins et les moûts de l’air, chauffer le moût pour soutenir la fermentation. Il insiste sur la nécessité de finir tranquillement la fermentation avant d’écouler le vin, le temps que la fermentation se propage dans toute la cuve, alors qu’on pense à l’époque que la fermentation la plus rapide est la meilleure. Les travaux de Chaptal l’impressionnent et pratique l’enrichissement des moûts au sucre pour élever le degré d’alcool et compenser le manque de maturité des raisins lié au climat. Mais surtout, il met l’accent sur le soin qu’il faut apporter à la vinification. Si ce précepte semble évident aujourd’hui, il ne l’est pas à l’époque où l’on pense que si on fait le vin vite, il sera meilleur car il aura moins d’occasions de se gâcher. « C’est l’art qui fait le vin », dit-il. Beau précepte dans lequel de nombreux vignerons d’aujourd’hui se reconnaissent.





Faisant d’une pierre deux coups, il profite de sa présence à l’Assemblée pour défendre les vignerons devant ses collègues. En 1790, il monte à la tribune pour tonner contre l’effet néfaste des taxes excessives qu’ils doivent supporter et impute la médiocre qualité des vins des alentours de Paris à la pression fiscale, qui oblige les vignerons à produire des quantités importantes de vins pour gagner leur vie, au détriment de la qualité du produit. Il faut croire qu’il a touché au cœur les vignerons d’Argenteuil car ceux-ci l’élisent maire l’année suivante.



Praticiens passionnés par les avancées scientifiques de leur temps ou scientifiques passionnés de vin, ils ont un point commun : le goût du vrai bon vin… du Grand Paris !





On ignore bien des choses sur monsieur Maupin : son prénom, sa date de naissance et sa date de décès. Peu importe : il nous a laissé une impressionnante liste d’écrits sur la vigne et le vin, intarissable source d’inspiration chez lui entre 1763 et 1789.





À partir de 1750, l’agriculture est furieusement tendance dans l’élite de la société française. Dans le grand monde, on se targue de connaître à fond les écrits des agronomes. Ceux-ci n’ont qu’une seule préoccupation : produire plus en dépensant moins. En matière de viticulture, celui qui se distingue en la matière, c’est Maupin. Valet de chambre de Marie Leczinska, l’épouse de Louis XV, il est aussi propriétaire vigneron à Triel, dans l’actuel département des Yvelines. Pendant plus de 25 ans, il a mené sans relâche des expériences pour améliorer la culture de la vigne dans son vignoble mais aussi ceux de la région. Dans ses écrits, il se contredit souvent, se trompe parfois mais cherche inlassablement. Il croit à ce qu’il fait, en se fondant sur l’observation et l’expérience. En 1763, il publie sa Nouvelle méthode de cultiver la vigne, ouvrage révolutionnaire pour l’époque où il préconise de cultiver moins de ceps mais de mieux les entretenir, ce en quoi il va à l’encontre de la préoccupation des vignerons de son époque, qui n’ont qu’un credo : produire beaucoup, à n’importe quelles conditions.





Mais son coup de maître, c’est de comprendre qu’il faut adapter les méthodes de vinification au climat de la vigne : son idée, c’est qu’on ne vinifie pas de la même manière à Paris que dans les vignobles méridionaux. Pour encourager la fermentation, il préconise de chauffer quelques chaudrons de moûts qui sont ajoutés à la cuve. Il comprend aussi que l’oxygène est nuisible au raisin qui fermente et recommande de fermer les cuves en fermentation. Il pratique de soigneux égrappages du raisin pour éviter que les rafles ne communiquent des mauvais goûts au vin. Ces principes sont toujours d’actualité. Son profond respect du travail du vigneron est atypique pour l’époque, ce qui ne l’empêche pas de les critiquer quand il le juge nécessaire. Il proteste contre l’abandon des bons cépages au profits des moins bons, sous prétexte qu’ils sont plus productifs, ce qui lui vaut l’inimitié de ses confrères vignerons. Mal compris et peu apprécié de son temps, Maupin sera cependant l’un des inspirateurs d’Étienne Chevalier.



Chaque année, le troisième dimanche de novembre, se tient la vente des vins des Hospices de Beaune. Un événement mondial que les collectionneurs ne manqueraient pas pour un empire.





La plus ancienne vente de charité au monde





Tout commence en 1443. La guerre de Cent Ans, qui oppose la France à l’Angleterre, fait rage avec son lot de pillages et de violences. La pauvreté et la faim frappent durement de nombreux beaunois. Nicolas Rolin, alors chancelier du Duc de Bourgogne, et son épouse Guigone de Salins, décident de fonder un hôtel-Dieu à Beaune pour secourir les malades pauvres. Afin d’assurer un revenu stable à leur fondation, ils la dotent d’un domaine viticole. Dès 1457, de nobles et riches bourgeois viennent à leur tour augmenter cette dotation initiale. Le don le plus récent a eu lieu en 2015.





Un domaine, un vrai





Le domaine représente aujourd’hui 60 hectares, 50 de pinot noir et 10 de chardonnay.





Ludivine Griveau assure la direction technique du vignoble et des vins. C’est la première femme régisseur du domaine. Les parcelles sont exploitées par 23 viticulteurs, sans recours aux herbicides de synthèse et en privilégiant les techniques écologiques. Le domaine produit 50 cuvées, 33 de pinot noir et 17 de chardonnay, principalement des premiers et grands crus. Elles sont élaborées dans la cuverie du domaine.





La vente





Les vins sont vendus aux enchères depuis 1859. En 1924, on décide que l’événement aura lieu le troisième jeudi de novembre, pour l’associer à la foire gastronomique de Dijon.





Les vins sont mis en vente en primeur, c’est-à-dire qu’il s’agit de la récolte de l’année qui n’a pas encore accompli son élevage. Deux jours avant la vente, les potentiels acquéreurs peuvent déguster les vins dans la cuverie du domaine. Le jour J, dans une ambiance effervescente, les enchères s’ouvrent sous la halle des hospices. Les participants sont des professionnels mais aussi des particuliers ou des associations d’amateurs. Les acquéreurs ne repartent pas avec leur vin mais le confient à un négociant de leur choix qui se chargera de l’élevage, d’une durée de 12 à 24 mois, avant la mise en bouteille. Chaque vin porte le nom de la parcelle d’origine et de celui ou celle qui en a fait don.





Où vont les fonds récoltés ?





Les Hospices soutiennent aussi d’autres œuvres caritatives placées sous le parrainage d’une personnalité. Pour cela, ils mettent en vente un fût appelé « Pièce du Président ». La vente a lieu à la bougie, entre 15h30 et 16h30, et doit être conclue avant que la bougie ne s’éteigne. La pièce du président suscite toujours beaucoup d’émotion par sa portée symbolique, ce qui se reflète dans les prix astronomiques qu’elle atteint.





Aujourd’hui comme hier, la vente a pour but de récolter des fonds pour financer les œuvres caritatives des Hospices. Les soins médicaux en constituent une part importante via le Centre hospitalier Philippe le Bon de Beaune, qui compte plus de 1000 soignants, tous métiers confondus. À cela s’ajoutent plusieurs maisons de retraite ainsi qu’un centre de formation aux soins infirmiers. Ainsi perdure l’esprit des fondateurs.





Les fruits de la vente servent aussi à l’entretien du patrimoine de l’hôtel-Dieu, célèbre dans le monde entier pour ses tuiles multicolores, et des 5000 meubles et objets d’art qu’il abrite.