Heurs et malheurs des vignerons franciliens

Pendant des siècles, l’Île-de-France connaissent l’effervescence des vendanges dans le vignoble qui entoure la capitale. De passionnantes sources historiques et littéraires font mention de ce moment si particulier.

Abondance, pénurie et loi du marché

À l’époque comme aujourd’hui, les millésimes se suivent et ne se ressemblent pas. Avec sa situation septentrionale, le vignoble de Paris est exposé à un risque majeur : celui du gel de printemps, que connaissent bien les vignerons de Chablis à l’heure actuelle. Le gel de printemps détruit les jeunes bourgeons et gomme tout espoir de récolte, ce qui provoque souvent une hausse marquée des prix du vin. Ce phénomène n’est pas si rare car il touche le vignoble deux à trois fois par décennie.  On vendange habituellement entre fin septembre et début octobre avec des décalages liés aux conditions de météo.

Un bon millésime se voit souvent à la facilité avec laquelle le moût fermente. Les vins sont stables et ils se conservent bien, sans développer de mauvais arômes ni tourner au vinaigre. En 1424, la vendange est tellement belle et abondante qu’elle provoque une crise sur le marché du tonneau : en effet, pour pouvoir faire fermenter l’immense quantité de raisin qui déferle du jour au lendemain, il faut des contenants en grand nombre immédiatement. La demande est telle qu’elle provoque une pénurie de fûts et une flambée des prix. Par ricochet, le vin lui-même devient hors de prix. Le retour à la normale prendra deux ans.

Fatal hiver 1709 !

Cet hiver-là, sous le règne de Louis XIV, l’Île-de-France, comme tout le reste du pays, grelotte.  Dans la nuit du 5 au 6 janvier, le vent du nord s’abat brutalement et un froid sibérien s’installe. Le 13 janvier, le thermomètre marque – 20 °C et il restera à ce niveau pendant 10 jours. Le 24 janvier, le dégel s’annonce et les vignerons, soulagés, voient leurs vignes indemnes alors que de nombreux arbres sont endommagés. Mais le 4 février, le froid revient et tout regèle en profondeur jusqu’au 10. Aux alentours du 15, les températures sont printanières. Nouvelle fausse joie : le froid se réinstalle et on voit – 15 °C le 23 février. Le froid dure jusqu’au 15 mars. Et le bilan s’avère lourd : les ceps sont endommagés, il n’y a pas de bourgeon, rien ne pousse. La vendange de 1709 sera réduite comme peau de chagrin et atteindra à peine 10 % de la normale. Celle de 1710 ne sera guère plus brillante car elle a souffert du manque de bois qui n’a pas poussé l’année précédente.

Un malheur n’arrive jamais seul : le vin a gelé dans les caves ! Il est invendable. Suivant la bonne vieille règle économique qui veut que ce qui est rare est cher, les prix montent en flèche et ils resteront à un niveau stratosphérique jusqu’à la fin de 1710. La pénurie de vin et les prix élevés donnent aux vignerons une frénésie de plantation dès 1710. Pressés de regagner ce qu’ils ont perdu, ils veulent produire vite et beaucoup. Pour une fois que les prix montent, quelle aubaine. On replante les pieds de vigne disparus en 1709 mais on abandonne les cépages de qualité au profit du gamay, plus productif, capable de produire des gros volumes de vin. La qualité des vins, c’est signé, ne sera plus jamais la même au lendemain de ce fatal hiver.

Illustration : carte postale ancienne, collection personnelle.