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Étienne Chevalier (1750-1828) est vigneron à Argenteuil lorsque la Révolution éclate. Député aux États généraux de 1789, il sera membre de l’Assemblée Constituante. Malgré cette activité qui ne devait pas être de tout repos, il continue son métier d’origine qu’il cherche à perfectionner. Comme Maupin, il est conscient de la médiocre qualité des vins de son époque mais, comme Maupin, il refuse d’y voir une fatalité. Il met en pratique les préceptes de Maupin : protéger les raisins et les moûts de l’air, chauffer le moût pour soutenir la fermentation. Il insiste sur la nécessité de finir tranquillement la fermentation avant d’écouler le vin, le temps que la fermentation se propage dans toute la cuve, alors qu’on pense à l’époque que la fermentation la plus rapide est la meilleure. Les travaux de Chaptal l’impressionnent et pratique l’enrichissement des moûts au sucre pour élever le degré d’alcool et compenser le manque de maturité des raisins lié au climat. Mais surtout, il met l’accent sur le soin qu’il faut apporter à la vinification. Si ce précepte semble évident aujourd’hui, il ne l’est pas à l’époque où l’on pense que si on fait le vin vite, il sera meilleur car il aura moins d’occasions de se gâcher. « C’est l’art qui fait le vin », dit-il. Beau précepte dans lequel de nombreux vignerons d’aujourd’hui se reconnaissent.





Faisant d’une pierre deux coups, il profite de sa présence à l’Assemblée pour défendre les vignerons devant ses collègues. En 1790, il monte à la tribune pour tonner contre l’effet néfaste des taxes excessives qu’ils doivent supporter et impute la médiocre qualité des vins des alentours de Paris à la pression fiscale, qui oblige les vignerons à produire des quantités importantes de vins pour gagner leur vie, au détriment de la qualité du produit. Il faut croire qu’il a touché au cœur les vignerons d’Argenteuil car ceux-ci l’élisent maire l’année suivante.



Praticiens passionnés par les avancées scientifiques de leur temps ou scientifiques passionnés de vin, ils ont un point commun : le goût du vrai bon vin… du Grand Paris !





On ignore bien des choses sur monsieur Maupin : son prénom, sa date de naissance et sa date de décès. Peu importe : il nous a laissé une impressionnante liste d’écrits sur la vigne et le vin, intarissable source d’inspiration chez lui entre 1763 et 1789.





À partir de 1750, l’agriculture est furieusement tendance dans l’élite de la société française. Dans le grand monde, on se targue de connaître à fond les écrits des agronomes. Ceux-ci n’ont qu’une seule préoccupation : produire plus en dépensant moins. En matière de viticulture, celui qui se distingue en la matière, c’est Maupin. Valet de chambre de Marie Leczinska, l’épouse de Louis XV, il est aussi propriétaire vigneron à Triel, dans l’actuel département des Yvelines. Pendant plus de 25 ans, il a mené sans relâche des expériences pour améliorer la culture de la vigne dans son vignoble mais aussi ceux de la région. Dans ses écrits, il se contredit souvent, se trompe parfois mais cherche inlassablement. Il croit à ce qu’il fait, en se fondant sur l’observation et l’expérience. En 1763, il publie sa Nouvelle méthode de cultiver la vigne, ouvrage révolutionnaire pour l’époque où il préconise de cultiver moins de ceps mais de mieux les entretenir, ce en quoi il va à l’encontre de la préoccupation des vignerons de son époque, qui n’ont qu’un credo : produire beaucoup, à n’importe quelles conditions.





Mais son coup de maître, c’est de comprendre qu’il faut adapter les méthodes de vinification au climat de la vigne : son idée, c’est qu’on ne vinifie pas de la même manière à Paris que dans les vignobles méridionaux. Pour encourager la fermentation, il préconise de chauffer quelques chaudrons de moûts qui sont ajoutés à la cuve. Il comprend aussi que l’oxygène est nuisible au raisin qui fermente et recommande de fermer les cuves en fermentation. Il pratique de soigneux égrappages du raisin pour éviter que les rafles ne communiquent des mauvais goûts au vin. Ces principes sont toujours d’actualité. Son profond respect du travail du vigneron est atypique pour l’époque, ce qui ne l’empêche pas de les critiquer quand il le juge nécessaire. Il proteste contre l’abandon des bons cépages au profits des moins bons, sous prétexte qu’ils sont plus productifs, ce qui lui vaut l’inimitié de ses confrères vignerons. Mal compris et peu apprécié de son temps, Maupin sera cependant l’un des inspirateurs d’Étienne Chevalier.



Chaque année, le troisième dimanche de novembre, se tient la vente des vins des Hospices de Beaune. Un événement mondial que les collectionneurs ne manqueraient pas pour un empire.





La plus ancienne vente de charité au monde





Tout commence en 1443. La guerre de Cent Ans, qui oppose la France à l’Angleterre, fait rage avec son lot de pillages et de violences. La pauvreté et la faim frappent durement de nombreux beaunois. Nicolas Rolin, alors chancelier du Duc de Bourgogne, et son épouse Guigone de Salins, décident de fonder un hôtel-Dieu à Beaune pour secourir les malades pauvres. Afin d’assurer un revenu stable à leur fondation, ils la dotent d’un domaine viticole. Dès 1457, de nobles et riches bourgeois viennent à leur tour augmenter cette dotation initiale. Le don le plus récent a eu lieu en 2015.





Un domaine, un vrai





Le domaine représente aujourd’hui 60 hectares, 50 de pinot noir et 10 de chardonnay.





Ludivine Griveau assure la direction technique du vignoble et des vins. C’est la première femme régisseur du domaine. Les parcelles sont exploitées par 23 viticulteurs, sans recours aux herbicides de synthèse et en privilégiant les techniques écologiques. Le domaine produit 50 cuvées, 33 de pinot noir et 17 de chardonnay, principalement des premiers et grands crus. Elles sont élaborées dans la cuverie du domaine.





La vente





Les vins sont vendus aux enchères depuis 1859. En 1924, on décide que l’événement aura lieu le troisième jeudi de novembre, pour l’associer à la foire gastronomique de Dijon.





Les vins sont mis en vente en primeur, c’est-à-dire qu’il s’agit de la récolte de l’année qui n’a pas encore accompli son élevage. Deux jours avant la vente, les potentiels acquéreurs peuvent déguster les vins dans la cuverie du domaine. Le jour J, dans une ambiance effervescente, les enchères s’ouvrent sous la halle des hospices. Les participants sont des professionnels mais aussi des particuliers ou des associations d’amateurs. Les acquéreurs ne repartent pas avec leur vin mais le confient à un négociant de leur choix qui se chargera de l’élevage, d’une durée de 12 à 24 mois, avant la mise en bouteille. Chaque vin porte le nom de la parcelle d’origine et de celui ou celle qui en a fait don.





Où vont les fonds récoltés ?





Les Hospices soutiennent aussi d’autres œuvres caritatives placées sous le parrainage d’une personnalité. Pour cela, ils mettent en vente un fût appelé « Pièce du Président ». La vente a lieu à la bougie, entre 15h30 et 16h30, et doit être conclue avant que la bougie ne s’éteigne. La pièce du président suscite toujours beaucoup d’émotion par sa portée symbolique, ce qui se reflète dans les prix astronomiques qu’elle atteint.





Aujourd’hui comme hier, la vente a pour but de récolter des fonds pour financer les œuvres caritatives des Hospices. Les soins médicaux en constituent une part importante via le Centre hospitalier Philippe le Bon de Beaune, qui compte plus de 1000 soignants, tous métiers confondus. À cela s’ajoutent plusieurs maisons de retraite ainsi qu’un centre de formation aux soins infirmiers. Ainsi perdure l’esprit des fondateurs.





Les fruits de la vente servent aussi à l’entretien du patrimoine de l’hôtel-Dieu, célèbre dans le monde entier pour ses tuiles multicolores, et des 5000 meubles et objets d’art qu’il abrite.